Après dix années de lutte, 400 ex-salariés du fabricant d'électroménager, dont la faillite a été reconnue frauduleuse, ont perçu leurs indemnités. Une victoire pondérée, car un recours est engagé en cassation.
Caen (Calvados), envoyé spécial.
Au fond de la salle des fêtes de Mondeville, près de Caen, réquisitionnée ce samedi pour l'occasion, cinq tables ont été installées. Maria, aux côtés de bien d'autres femmes et d'un petit nombre d'hommes, fait la queue pour toucher son chèque. Ils sont environ 400 anciens salariés Moulinex du site de Cormelles-le-Royal à attendre que le cabinet d'avocats qui les a représentés aux procès qu'ils ont engagés depuis dix ans contre la direction du groupe d'électroménager pour licenciement abusif et non-respect de la procédure, leur remette les chèques d'indemnisation. Au total, l'Association de garantie des salaires (AGS), organisme patronal qui supplée les entreprises défaillantes, leur verse environ 6 millions d'euros. Sur les trois sites où les anciens salariés ont saisi la justice, les AGS ont dû payer 11 millions d'euros et l'addition se montera à 15 millions, si la deuxième puis la troisième vague de plaintes sont jugées aussi favorablement.
Entre le premier jugement, celui des prud'hommes, et celui de la cour d'appel de Caen, Maria a vu son pécule diminuer de 36 000 euros à 21 757 euros – c'est la somme inscrite au bas de son chèque qu'elle tient en main bien fermement. « On ne l'a pourtant pas volé, dit-elle, car on a tous perdu gros dans la région en perdant notre usine. »
En attendant le jugement définitif
Les deux tiers des ouvriers de Moulinex, les femmes plus particulièrement, ont été depuis le début des années 2000 abonnés aux petits boulots, aux agences pour l'emploi et aux minima sociaux à la suite de la fermeture du site. Après trente et un ans passés chez Moulinex, Maria a, durant quatre autres années, gagné sa vie en qualité de famille d'accueil pour des enfants, puis elle a bénéficié de l'allocation attribuée à ceux qui ont travaillé dans des sites amiantés.
Françoise, agent de production à l'atelier des micro-ondes durant vingt-neuf ans, confie en faisant la queue : « Sans doute il faut y croire à cet argent, mais je pense qu'ils vont nous le reprendre. » L'AGS ne veut surtout pas que les arrêts de justice concernant Moulinex fassent jurisprudence. Elle sait que des salariés de Continental, de Molex et de bien d'autres entreprises sont à l'affût. L'association patronale a donc fait appel du jugement en saisissant la Cour de cassation. Cette saisie n'étant pas suspensive, elle a dû malgré tout puiser dans sa trésorerie et payer. Mais cela a conduit les responsables de l'Apic-MX, l'association créée par les anciens de Moulinex à l'origine de la mobilisation de leurs collègues et de l'action en justice, et leur avocat à inciter les bénéficiaires des indemnités à ne pas y toucher en attendant le jugement définitif.
2 millions d'euros de parachute doré
Brigitte compte pourtant s'en servir. Comme tous les anciens élus du personnel et responsables syndicaux, elle n'a perçu que quelques petits milliers d'euros, « pas assez, dit-elle, pour être mise en difficulté » si jamais elle devait les rembourser. Augustin, cinquante-neuf ans, vingt-quatre ans de Moulinex comme manœuvre, y croit à son chèque de 24 589,56 euros, même s'il n'a pas de projet bien défini. « On verra », dit-il. Pour Guy, un ancien contremaître, cet argent, évidemment, ça compte dans un budget modeste, mais « c'est une goutte d'eau par rapport à ce que certains ont bâfré, aux 2 millions de parachute doré de Pierre Blayau, notre ancien PDG. Les prud'hommes, ce n'est qu'une étape, ajoute-t-il, ce qu'on veut, c'est Blayau ». Dans les tout prochains jours, le tribunal de Nanterre doit annoncer s'il compte traduire en justice les anciens dirigeants de Moulinex mis en examen à la suite de la plainte déposée par les salariés.
Pierre Ivorra